Jean-Paul Desroches avec la collaboration de Huei-chung Tsao et Xavier Besse
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Évolution des styles La dynastie des Ming (1368-1644)

La dynastie des Ming (1368-1644)

Gourde bianhu à décor floral, dynastie Ming, période Yongle, G 4761 © Musée Guimet, Paris, Distr. Rmn / Image Guimet

À la fin du règne des Yuan, alors que l’ensemble du pays s’est soulevé contre l’envahisseur, un certain Zhu Yuanzhang parvient à rétablir l’hégémonie chinoise sur l’ensemble du territoire. Il fonde la dynastie des Ming et prend comme nom de règne Hongwu (1368-1398). La porcelaine durant cette période, continue à jouer un rôle important, adoptée par la cour, elle séduit l’élite lettrée, connaît la ferveur populaire et va être diffusée à travers le monde.

Une première initiative déterminante va voir le jour dès 1369 à l’issue d’un décret stipulant l’utilisation de récipients en porcelaine pour les rites officiels. Cette nouvelle réglementation, qui rompt avec une tradition pluri-millénaire prônant l’emploi quasi exclusif du métal stimule la création des potiers. Dorénavant, à l’exception des vases d’autel, la plupart du mobilier liturgique aux références archaïsantes est remplacée par de simples plats en porcelaine. Ces œuvres aux formes nouvelles sont destinées à témoigner aux yeux de tous du mandat céleste des Ming.

La reprise en main du pays par la nouvelle dynastie apporte un climat de stabilité propice à la circulation des matières premières et relance la machine industrielle. Entre 1405 et 1433 l’amiral Zheng He (1371-1435) conduira sept expéditions maritimes à travers l’océan Indien jusqu’à l’Afrique orientale en vue de renouer des contacts diplomatiques et commerciaux avec plus d’une trentaine d’Etats. Ces missions avaient pour but de ré-évaluer l’image d’une Chine profondément humiliée par près d’un siècle d’invasion mongole. La dynastie naissante, forte d’une technique dont elle était la seule à détenir le secret : le décor bleu et blanc sous couverte, allait pouvoir véhiculer ces trésors insignes qui fascinaient le monde. Elle s’assurait ainsi un avenir commercial prometteur.

Toutefois en ce début du xve à l’intérieur du pays, ce type d’œuvres destinées aux étrangers ne va pas séduire immédiatement la clientèle lettrée qui restait encore attachée à l’esthétisme épuré des Song. Cependant, la sinisation du décor des bleu et blanc associée aux progrès techniques de la porcelaine, finit par conquérir cette élite exigeante. Peu à peu ces créations vont s’infiltrer dans les cabinets de ce milieu raffiné. Désormais commandées en grande quantité par l’administration impériale, elles siègent au cœur des palais, des temples, ornent les jardins et les bâtiments publics. À l’origine de ces immenses programmes, le Bureau des Commandes Impériales, le Yuyong jian, impose, selon l’étiquette, une iconographie souvent dérivée de l’art du textile adaptée aux formes des céramiques. Un texte historique, le Da Ming Huidian, permet d’apprécier le volume d’une commande impériale en 1433 s’élevant à quelques 443.500 pièces. Pour mener à bien de telles opérations, il n’existe pas encore d’ateliers impériaux proprement dits. L’administration ming doit donc missionner certains fours à Jingdezhen et réquisitionner des potiers et des décorateurs sur porcelaine selon un système de corvée obligatoire. Ces équipes composées des meilleurs artisans de l’époque, produisent les pièces officielles. Ces œuvres font l’objet d’un contrôle de qualité strict dont témoigne encore de nos jours l’important volume des pièces rejetées dans des fosses à proximité des fours. On pense que la destruction volontaire de ces œuvres visait à empêcher les potiers de tirer un profit de ces rebuts. Les marques impériales apposées sur les céramiques à partir de cette époque étaient sévèrement contrôlées et même une loi punissait tout contre-venant de la peine de mort.

Sous les 276 années de cette dynastie purement chinoise l’évolution de la céramique épouse les différents règnes des empereurs. Reflet de son époque, chaque style agit en véritable miroir des gloires et des troubles de son temps. Cependant, la plupart des spécialistes discernent traditionnellement trois période qui rythment la production céramique : la première couvre les règnes de Hongwu (1368-1398), de Yongle (1403-1424), et de Xuande (1426-1435), la deuxième recouvre les règnes de Chenghua (1465-1487), de Hongzhi (1488-1505) et de Zhengde (1506-1521), quant à la troisième, elle s’étend du règne de Jiajing (1522-1566) à celui de Wanli (1573-1620). Les règnes de Tianqi (1621-1627) et de Chongzhen (1628-1644) avec lequel s’éteint la dynastie, sont communément regroupés sous la période dite de Transition (1620-1683).

L’émergence d’un style

De Hongwu à Yongle d’énormes efforts en direction des pays voisins et du Moyen-Orient aboutissent à la relance de la production céramique destinée à l’exportation. L’arrivée du bleu de cobalt en provenance de Perse à partir du début du xve, autorise la création de nombre de bleu et blanc. Ces œuvres se caractérisent par un bleu profond infiniment nuancé. Les thèmes abordés sont variés et se rapprochent dorénavant du répertoire traditionnels chinois : notamment le décor de fleurs et oiseaux. Ces motifs installés dans des compositions aérées et traités au moyen de lavis spontané sans contour évoquent la peinture académique. Le recours à un vocabulaire traditionnel atteste la reconnaissance de ces œuvres par la cour. En effet de plus en plus, les exigences du palais orientent les recherches des créateurs de Jingdezhen. Ces derniers vont faire évoluer la porcelaine vers un corps au blanc pur et une facture parfaite.

Avec la période Xuande qui s’inscrit dans la continuité du règne précédent Yongle on atteint un des points culminants, une matière parfaite servie par un pinceau virtuose. Ce style parvenu à son zénith continuera d’inspirer les potiers durant les siècles suivants. Désormais, les bleu et blanc triomphent à la cour arborant systématiquement la marque impériale. Matériaux rares et artisans talentueux affluent à Jingdezhen désormais capitale incontestée de la porcelaine, où sans cesse de nouvelles expériences sont tentées. Il s’agit de combinaisons chromatiques audacieuses telles que l’association du rouge de cuivre et du bleu de cobalt sous couverte, des compositions d’émaux jaunes, verts et rouges sur couverte, les premiers doucai ou « couleurs contrastées ».

Entre 1436 à 1465 survient une période de crise durant laquelle les commandes officielles sont suspendues. Sous le règne de Chenghua et celui de Zhengde, la céramique aborde des orientations inédites. Le raffinement caractérise le règne de Chenghua. Sous cet empereur amoureux des arts, les créateurs proposent des œuvres aux formes élégantes de dimensions réduites nappées d’une couverte parfaitement lisse. L’utilisation d’un bleu de cobalt très pâle, différent des nuances profondes des pigments précédents, confère au décor une douceur inégalée, particulièrement remarquable quand il s’agit du cerne des motifs. Le style de l’ornementation évolue sous l’influence attribuée traditionnellement à l’une des concubines impériale. Il se démarque du ritualisme antérieur riche en symboles et en créatures fantastiques de toutes sortes. Ce sont maintenant des fleurs, des plantes naturalistes, mais aussi des paysages et des animaux inspirés des exemples de la peinture qui vont être traités en bleu sur fond blanc ou rehaussés d’émaux doucai. Cependant, parallèlement à ce groupe décoratif, une autre catégorie présente des thèmes bouddhiques liés à l’intérêt personnel de l’empereur pour cette religion et manifeste par la création de nombreux monastères édifiés sous son règne.

Durant la période Hongzhi, la porcelaine bleu et blanc de qualité est parfois décorée de formules conventionnelles et répétitives avec une tendance accrue à la surcharge ornementale. Ce sont les pièces à décors d’émaux polychromes qui expriment le mieux l’esprit novateur de cette période, qu’il s’agisse de bols à dragon émaillé vert sur fond blanc ou sur fond jaune ou encore de plats à décor floral bleu en réserve sur fond d’émail jaune. Ce jaune lumineux prend désormais le pas sur le rouge cramoisi et devient la couleur impériale. Autre témoignage de la créativité des potiers d’alors, l’invention des glaçures sur biscuit sancai fahua. Des alvéoles individuelles correspondant aux différentes couleurs, réparties sur la surface des œuvres permettent d’engendrer un décor vigoureux inspiré de la technique d’émaux cloisonnés sur bronze. En outre, à partir de cette époque se répand l’usage des marques anciennes, notamment avec le ré-emploi du nianzhao de Xuande antérieur d’un siècle.

Au cours du règne de Zhengde, émerge une influence nouvelle basée sur le répertoire coranique. Contrairement aux céramiques de commandes destinées au monde de l’Islam, ces objets ont trait à l’univers des lettrés chinois de confession musulmane. Pots à pinceaux, boîtes de calligraphie, écrans de table, chandeliers, témoignent aussi bien par leurs formes que par leur ornementation de l’importance d’une religion très répandue chez les eunuques du palais.

Le déclin de l’autorité impériale apparu dès la fin du xve s’accentue sous le règne de Jiajing et le pouvoir passe progressivement aux mains des eunuques de la Cité interdite. En outre, de profonds changements surviennent au sein de la société où émerge une classe bourgeoise commerçante et aisée qui va avoir un impact décisif sur la production de céramiques. Son goût exubérant est à l’origine du succès d’une gamme polychrome combinant des émaux rouge, vert, jaune associés au bleu de cobalt sous couverte, et communément dénommées wucai ou « cinq couleurs ».Dans le même temps, on assiste à des modifications au niveau de l’administration à Jingdezhen. Entre 1530 et 1567 le contrôle de la qualité est confié à un collaborateur du gouverneur de la province auquel le pouvoir central délègue une partie de son autorité. Ce changement contribue à introduire un bleu aux nuances pourpres quelquefois avec des empâtements. L’iconographie principale, traitée avec davantage de spontanéité, relève du taoïsme. Cependant certaines de ces réalisations donnent l’impression d’une horreur du vide. D’autres réformes encore touchant à l’organisation du travail : les potiers exécutant des commandes impériales selon le système de la corvée obligatoire, ont le droit désormais de se libérer de cette injonction en payant une taxe en contrepartie. En 1562 ces modifications aboutissent à l’abolition du système de corvée, obligeant ainsi tous les artisans à s’acquitter de cet impôt. En conséquence, à l’instar des entreprises commerciales, les fours chargés des programmes officiels adoptent une organisation du travail favorisant la productivité au détriment de la qualité. Ainsi les différences entre commandes impériales et commandes privés tendent à s’estomper.

Avec les règnes de Longqing (1567-1572) et de Wanli (1573-1619), les formes et les décors sont presque exclusivement dictées par les lois du marché, et ce, en dépit de la persistance de commandes impériales impressionnantes comprenant plusieurs dizaines de milliers de pièces. À bien des égards, c’est une période particulièrement intéressante par son bouillonnement intellectuel et son dynamisme économique. L’essor du commerce domestique et international a considérablement renforcé le pouvoir de certains marchands. Ceux-ci récupèrent le parrainage de l’art et les valeurs lettrées. Peintures, littérature, mais aussi les multiples accessoires qui caractérisent les cabinets d’études connaissent un véritable engouement. Ces « objets de lettrés » réalisés en porcelaine et inspirés des matériaux les plus divers, jade, bronze, laque, élargissent le répertoire des formes et des motifs. À ce phénomène est associée la démocratisation progressive de la porcelaine. D’abord employée par la haute bourgeoisie, elle pénètre les foyers des classes moyennes entrant ainsi dans l’usage courant. La demande devient considérable et ne cesse de croître, un phénomène qui n’est pas sans incidence sur la qualité. Malgré le coût de revient élevé dû à l’appauvrissement des ressources en matière première, les lois du marché imposant une guerre économique le prix de pièces reste abordable en particulier quand il s’agit d’œuvre de qualité modeste. Par réaction à cette banalisation de la production, des connaisseurs de céramique ancienne acquièrent à prix d’or des chef-d’œuvres des périodes Xuande et Chenghua, ou encore de rares ge et ding, monochromes de la période Song. Cet engouement suscite naturellement, des imitations inspirées des créations du passé, arborant volontiers des marques impériales antérieures.

Avec la fin du règne de Wanli marquant l’épuisement du régime s’éteignent pratiquement les grandes commandes impériales. Les deux dernières décennies de la dynastie Ming toujours tributaires du marché, favorisent l’éclosion d’un vocabulaire narratif de plus en plus libre et haut en couleurs émaillé d’allusions littéraires introduisant la période dite de Transition (1620-1683).